Sin City le film : premières impressions

Le film est loin d'être terminé. Peu de matériel a encore été diffusé : la liste du casting, quelques affiches publicitaires. On peut néanmoins commencer à tirer quelques plans sur la comète.

Sin City 4.5/5

Les scénaristes d'Hollywood manqueraient-ils d'imagination ? Les cyniques répondraient oui sans la moindre hésitation, et que cela ne date pas d'hier. Ils ont souvent été chercher l'inspiration dans des oeuvres de la littérature classique, et puis depuis peu dans les jeux vidéos ou la bande dessinée. Et à voir le nombre croissant d'adaptations de comic books sur grand écran, la tendance s'apparente de plus en plus à un pillage en règle. Pour un fan comme moi, rien de plus réjouissant, sauf bien-sur quand l'adaptation est bâclée, ce qui est malheureusement loin d'être une exception.

Après les grosses machines attendues et évidentes comme X-men et Spiderman, le cinéma s'intéresse maintenant à des bande dessinées moins consensuelles ou tout public, créées dans le giron des éditeurs indépendants (lire l'aparté). C'est le cas par exemple du Hellboy de Guillermo del Toro, en salle ce 11 août. C'est aussi celui d'un projet annoncé pour 2005, le film Sin City, adaptation du comic book éponyme créé en 1992 par Frank Miller chez Dark Horse.

Aparté : Les éditeurs indépendants

L'industrie du comic book fut longtemps dominée par deux gros éditeurs, Marvel (créateur entre autre de Spiderman) et DC Comics (Superman, Batman). D'autres éditeurs, communément appelés « indépendants », se partagèrent les miettes du marché jusqu'au début des années 90. C'est alors que certaines stars du médium, lassées (1) de voir leurs droits d'auteurs spoliés et (2) par les histoires trop simplistes qui leur étaient parfois imposées décidèrent de tenter l'aventure des petites maisons d'édition. Si la gloire et l'argent ne furent pas forcément au rendez-vous, au moins avaient-ils le contrôle de leurs créations. Ainsi naquirent des séries comme Sin City ou Hellboy chez Dark Horse.

L'expérience ne fut cependant pas toujours aussi brillante puisque certains se contentèrent de produire chez les petits la même bouillie informe que ce qu'ils produisaient chez les gros. L'exemple le plus caractéristique est le label Image créé entre autre par Todd McFarlane (Spawn).

Rappelons par ailleurs que les deux chefs-d'oeuvre du comic book qui révolutionnèrent le genre au milieu des années 80 virent le jour chez DC Comics : Watchmen de Moore et Gibbons et Dark Knight's return de l'omniprésent Miller. Comme quoi, indépendant n'est pas toujours synonyme de qualité.

Frank Miller est une figure connue et respectée du monde du comic book. Il fut l'un des principaux acteurs du renouveau du médium au cours des années 80, d'abord avec sa reprise de la série Daredevil, qui culmina avec la somptueuse mini-série Born again (1987) mise en image par David Mazzucchelli, et surtout avec son Dark Knight's return (1986), considéré par beaucoup (dont moi) comme l'un des quelques chefs-d'oeuvre que la bande dessinée américaine a produit ces vingt dernières années.

Un gros morceau donc, ce Frank Miller, et sa dernière série régulière en date, Sin city, fait parti de la poignée de comic books produite ces dix dernières années qui surnage dans cet immense foutoir débilo-mercantile qu'est devenu le médium depuis que certains grands pontes de « l'entertainment » en ont pris les commandes. L'annonce de son adaptation cinématographique devrait donc réjouir n'importe quel fan. Sauf bien-sur quand on a déjà vu certaines bonnes idées se planter lamentablement. Et les quelques informations glanées ça et là n'engagent pas forcément à l'optimisme.

Un réalisateur qui inquiète, un casting qui rassure

Première affiche publicitaire du film

Le personnage de Marv sera campé par Mickey Rourke. © Dimension films.

D'abord à cause du réalisateur à la tête du projet, Robert Rodriguez, qui, en dehors de El Mariachi (1992) et de sa séquelle/remake Desperado (1995) avec Antonio Banderas et Salma Hayek, n'a rien fait qui mérite que l'on s'y attarde plus que ça. On passera sous silence le « teen movie » d'horreur The Faculty (1998) qui, hormis quelques scènes plutôt amusantes où suinte à bon escient le second degré nécessaire à ce genre de film, reste un peu trop marketé. On oubliera aussi la série des spy kids, pour des raisons évidentes… Cela aurait pu être pire (non, je ne citerai pas de nom, la liste risquerait d'être trop longue), mais on n'est pas rassuré pour autant.

Il y aurait donc de quoi craindre -si ce n'est le pire- du moins une méchante déconvenue. On se rassure un peu en notant que Frank Miller est crédité non seulement en tant que scénariste (ce qui paraît normal) mais aussi comme co-réalisateur(1). Et puis en jetant un oeil au casting, qui promet tout de même quelques scènes intéressantes : Mickey Rourke (Year of the dragon, Angel Heart) dans le rôle de Marv, gros lourdaud un tantinet limité niveau intellect, prêt à vous découper en tranches avec une simple scie à métaux mais bien incapable de lever ne serait-ce que le petit doigt sur une représentante de la gent féminine ; Jessica Alba (série télé de sci-fi plus que moyenne Dark Angel) dans celui de la strip-teaseuse à forte poitrine Nancy Callahan ; Bruce Willis (Die Hard, Pulp fiction, Twelve monkeys) dans celui du flic au grand coeur de service, Hartigan ; et bien d'autres...

Une intrigue trop riche pour un seul film ?

Deuxième affiche publicitaire du film

Jessica Alba dans le rôle de la strip-teaseuse Nancy Callahan, personnage central de la série That Yellow bastard. © Dimension films.

Tous les personnages marquants créés par Miller depuis une dizaine d'années semblent être au rendez-vous. On ne peut à première vue que s'en réjouir: le film devrait ainsi rester fidèle au comic book. D'un autre côté, on se demande comment Miller et Rodriguez vont gérer la chronologie totalement déconstruite de la série et faire cohabiter tout ce petit monde dans un scénario cohérent de 1h30-2h00. D'après les premiers bruits, l'intrigue du film s'appuierait sur l'histoire d'ouverture du comic book, Sin city (1992), qui voit Marv écumé les rues de Basin city à la recherche du meurtrier de la seule femme qui l'ai jamais aimée, même si ce ne fut qu'une nuit : Goldie. Viendraient ensuite se greffer sur cette trame principale les récits de A Dame To Kill For (1994), The Big Fat Kill (1995) et That Yellow Bastard (1997).

Une intrigue à plusieurs entrées donc, qui devrait sans doute bénéficier d'une construction narrative semblable à celle du Pulp Fiction de Quentin Tarentino. Ce serait a priori la seule façon de donner de la cohérence au récit. Sans oublier la « voie off », indispensable et omniprésente dans le comic book (répétons-le encore une fois : la bande dessinée n'est pas du sous-cinéma ; c'est un médium qui a ses propres codes narratifs dont la transposition à l'écran est loin d'être évidente).

La cité du vice

Troisième affiche publicitaire du film

Le personnage sulfureux de Gail risque de poser quelques problèmes à la censure… © Dimension films.

Espérons aussi que le politiquement correct hollywoodien de nivellera pas le tout dans du pré-macher sans goût : les personnages de Marv ou de Hartigan sont bien loin des canons du héros aux dents blanches s'éloignant vers le soleil couchant après avoir sauver le monde auxquels l'usine à rêve nous a habitué. Et puis une histoire dont le principal décor est un quartier auto-géré par des prostitués, cela risque de donner quelques sueurs froides aux garants de la morale.

De nombreuses interrogations donc, et une réelle appréhension de voir cette adaptation cinématographique pervertir l'oeuvre originale et marquante de Miller. Il faudra juger sur pièces, et espérer que Rodriguez saura faire avec Sin city ce que Raimi a entreprit avec ses Spiderman: respecter l'oeuvre originale tout en construisant un film personnel ne cédant que le strict nécessaire aux impératifs du marketing hollywoodien.

Si le compromis était aisé dans le cas de Spiderman, il est par contre loin d'être évident avec Sin city dont l'univers est beaucoup moins « tout public ». La trajectoire cinématographique de Rodriguez après son Mariachi n'incite pas à croire qu'il réussira ce tour de force. Mais rien ne me ferait plus plaisir que d'avoir tort.

Lire aussi les brèves suivantes :

A dame to kill for (2020-06-26) 3/5

  • La magie du premier opus est passée
  • un montage à la hache qui précipite trop le récit alors que la bédé s'étendait souvent sur plusieurs pages pour une simple scène.
  • Eva Greene est envoutante mais j'ai un peu trop l'impression que Rodriguez et Miller se sont juste contenter de la montrer à poil.

Notes

1

Robert Rodriguez explique dans une interview accordée en mars 2004 comment il en est venu à associer Frank Miller à la réalisation du film, et les problèmes que cela lui a occasionné.