Daredevil ou l'occasion manquée
Profitons de la diffusion de Daredevil mardi soir sur France 2 pour revenir sur cette adaptation cinématographique du comic-book qui révéla le talent de Frank Miller. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le film n'est vraiment pas à la hauteur de l'oeuvre originale.
Passons rapidement sur les aspects « techniques » : des scènes d'actions mollassonnes et indéchiffrables, un montage effectué à la serpette(1), des erreurs de casting ou des acteurs sans passion, rien ou presque dans la forme ne séduit vraiment.
Mais le plus frustrant reste surtout l'impression de formidable gachis laissé par le film. Le réalisateur et scénariste, Mark Steven Johnson, avait à sa disposition une matière première en or. Malheureusement, tout dans la narration est râté, tombe à plat ou est utilisé au mauvais moment, au mauvais endroit, comme si Johnson avait retranscris des morceaux du mythe sans en comprendre ni le sens ni même l'articulation : la dualité homme de loi le jour et justicier hors-la-loi la nuit, celle du chrétien croyant portant le masque du démon, le personnage de Foggy Nelson qui passe totalement inaperçu ou celui de Ben Ullrich insuffisamment et mal employé, la platitude de Bullseye ou la fadeur d'Elektra et le ridicule consommé de sa rencontre avec Matt Murdock, la liste pourrait s'allonger indéfiniment. La seule trouvaille du film, le caisson isolant dans lequel Murdock passe ses nuits, ne peut racheter de telles lacunes et un récit sans queue ni tête.
Finalement, une seule scène suffit à illustrer cette gabegie : transformer Daredevil en tueur de sang-froid dès les premières minutes, pour ensuite faire de ce geste la trame centrale de l'évolution du héros, c'est n'avoir vraiment rien compris au sens premier du comic book. Brian Singer (sur X-Men) ou Sam Raimi (sur Spiderman) prirent eux aussi certaines largesses avec l'histoire original mais en en conservant néanmoins la substantifique moelle (la scène d'ouverture du premier X-Men est à ce titre un admirable exercice de style qui résume en quelques minutes l'axe fondateur de la psychologie de Magnéto, décrit par touches plus ou moins explicites dans d'innombrables épisodes du comic book). Johnson, lui, a pioché de-ci de-là quelques éléments de la vie de « l'homme sans peur » en dénaturant leur portée et sans percevoir leur signification au-delà de l'anecdotique ou du spectaculaire.
Que reste-t-il dés lors de Daredevil, le film ? Un « accident industriel » pour les fans du comic book et pas grand chose pour les amateurs de film d'action. Aux uns comme aux autres, on ne peut donc que conseiller de (re)lire ce que Frank Miller a fait sur la série entre 1979 et 1986 (numéro par numéro ou compilé), et plus particulièrement Born Again, co-réalisé avec David Mazzucchelli (numéro par numéro ou compilé).