L'événement Anthropocène
La Terre, l'histoire et nous
Résumé
(4e) Les scientifiques nous l’annoncent, la Terre est entrée dans une nouvelle époque : l’Anthropocène. Ce qui nous arrive n’est pas une crise environnementale, c’est une révolution géologique d’origine humaine.
Depuis la révolution thermo-industrielle, notre planète a basculé vers un état inédit. Les traces de notre âge urbain, consumériste, chimique et nucléaire resteront des milliers voire des millions d’années dans les archives géologiques de la planète et soumettront les sociétés humaines à des difficultés considérables. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Faisant dialoguer science et histoire, les auteurs dressent l’inventaire écologique d’un modèle de développement devenu insoutenable, ébranlent bien des idées reçues sur notre prétendue « prise de conscience environnementale » et ouvrent des pistes pour vivre et agir politiquement dans l’Anthropocène.
1. Bienvenu dans l'Anthropocène
L'ère géologiquee « anthropocène » est proposée par le chimiste Paul Crutzen en février 2000 lors d'un coloque du Programme international Géosphère-Biosphère. Il débuterait en 1784, au début de la révolution industrielle, et serait caractérisé par le fait que l'impact de l'activité humaine rivalise maintenant avec celles de certaines des grandes forces de la Nature :
- Modification de l'atmosphère : + 150% de méthane, + 63% de protoxyde d'azote, + 43% de dioxyde de carbone depuis 1750.
- Effondrement de la biodiversité par fragmentation, simplification et destruction des écosystèmes. Le taux de disaprition des espèces serait de 100 à 1000 fois plus élevé que la
normale géologique
, taux comparable à celui de 5 périodes d'extinctions de masse, si bien que certains auteurs parlent de 6e extinction. - Modification des cycles bio-géochimiques de l'azote, de l'eau et du phosphate
- Accroissement de la consommation d'énergie d'un facteur 16 au XXe s.
- Paturages, culture et villes : 5% de la surface terrestre en 1750, 12% en 1900, 33% aujourd'hui.
2. Penser avec Gaïa - vers des humanités environementales
L'anthropocène est un point de non-retour et non une « crise », caractérisé par 4 dimensions principales :
- Changement climatique.
- Effondrement de la biodiversité.
- Raréfaction des resources naturelles.
- Pollution et modification du cadre de vie humain.
Il faut en finir avec le « développement durable » qui est une illusion issue de la notion de « rendement soutenu maximal » conçue par l'écologie de gestion des ressources halieutiques des années 1950. Illusion car il laisse croire à La possibilité d'une croissance économique continue si on associe économie, social et « environnement ». Il nécessite un régime stationnaire, ce que la Nature n'est pas.
Il faut aussi en finir avec ces sciences humaines (histoire, sociologie, etc.) qui ont exclues le biologique, le géologique de leur champ d'investigation, comme si la nature était une décor sans influence sur l'évolution des sociétés humaines.
L'anthropocène est ausi affaire de liberté, et de définition de celle-ci : Pour [Benjamin] Constant, la liberté était synonyme de "sécurité dans les jouissances privées", permises par un gouvernement se limitant à garantir la propriété et le libre-échange. Pas question, pour ce libéral, de limiter la propension des individus à produire, échanger, consommer, et même gaspiller. Si les premiers socialistes opposèrent un autre idéal d'émancipation, égalitariste et coopératif, pour limiter la lutte de tous contre tous et la "dégradation matérielle de la planète" [...], force est de reconnaître que le socialisme réél du XXe s. ne fût pas écologique et que c'est la vision libérale, individualiste et consumériste de la libérté de Constant qui s'est imposée, culturellement, sur la panète entière.
3. Clio, la Terre et les anthropocénologues
Il est propable que le récit actuel de l'anthropocène participe lui-même d'un système hégémonique de représentation du monde
.
Débuts en 1784 avec l'invention de la machine à vapeur, puis 3 étapes :
- Le basculement : de la révolution industrielle à la Seconde Guerre mondiale.
- La grande accélération : après 1945-1950.
- La prise de conscience : depuis le début des années 2000 et le 3e rapport du GIEC.
C'est dans un contexte particulier que se forme le récit de l'anthropocène : l'apparition de la théorie des systèmes complexes après la seconde guerre mondiale (théorie des jeux, écosystèmes, cybernétique) et, au début des années 70, l'hypothèse Gaïa de Lovelock et Margulis.
4. Le savant et l'anthropos
Dans ce récit, il y aurait un face-à-face entre deux grands acteurs : l'espèce humaine d'une part, et le système Terre de l'autre, et l'histoire de l'anthropocène raconterait leur interaction à travers mille boucles d'actions et de rétroactions
(p.81). Et, devant les urgences écologiques, les savants seraient alors là pour réconcilier l'humanité avec la Nature.
C'est faire peu cas des acquis des sciences humaines, qui ont montré depuis des années la pluralité des humains et des sociétés : la situation actuelle n'est pas le fait de « l'Humanité » mais de certaines sociétés humaines, de certains choix politiques. Le récit officiel tente de gommer cela et on en vient à écrire sur la crise écologique sans jamais mentionner le capitalisme ou les guerres. Il se base sur des préconceptions qui ne tiennent pas la route :
Un récit de l'éveil à la conscience environnementale : il y aurait un grand moment d'inconscience des conséquences des choix politiques, énergétiques, entre 1750 et les années 2000 (unknowingly, à notre insu et unwikkingly, sans le vouloir). Pourtant, les prise des conscience et les alertes sont bien présentes entre 1770 et 1830, à l'époque ou l'Europe bascule le monde dans l'anthropocène. La grande accélération à elle aussi été décrite (Our plundered Planet de Fairefield Osborn). La téléologie du devenir écologique de nos sociétés remplace celle du progrès. On est en présence d'une fable modernisatrice annonçant la fin de la modernisation...
(p.97). Il faut donc avant tout comprendre comment nous sommes entrés dans l'anthropocène malgré les alertes, des savoirs et des positions très consistantes, et forger un récit plus crédibles de ce qui nous est arrivé.
(p.98).
Le récit divise aussi l'humanité en 2 catégories : d'un côté 'la masse informe de la population mondiale devenue agent géologique
, de l'autre une petits nombre de scientifiques clairvoyants. Ce sont ceux, des bergers scientifiques
, qui guideront l'humanité et trouveront la solution par la géo-ingénierie et l'innovation biologique. Encore faut-il éduquer tout ce beau monde. Après Galilée et Darwin, on serait donc dans une nouvelle étape de l'histoire où "la science" doit renverser un "système de croyance" de "la société" … sans la toucher, sans se mêler à aucun mouvement social ou écologique : comme les grandes entreprises, les mouvements écologiques sont les grands absents du grand récit dominant de l'anthropocène. Et, en bonne logique scientiste, la bonne politique sera celle qui réalisera la "mise en oeuvre avisée" des savoirs neutres de la science ; l'humanité deviendra écologiquement soutenable lorsque le message de la science aura bien pénétrée et qu'elle aura adopté ses solutions.
(p.105).
On entrerait alors dans une antrhopo-nature (...) hybride et dynamique, dont les humains se reconnaîtraient enfin comme partie prenante
. Un certain discours s'est donc peu à peu imposé : une certaine artificialisation inévitable de la nature et une conservation de la biodiversité en fonction des services qu'elle rendrait aux humains. Curieusement, au sublime de la catastrophe succède le vertige de la toute puissance.
(p.107) L'homme, jardinier-ingénieur de la planète (1).
La doxa libérale dominante permet alors à un nouveau géopouvoir de donner une valeur marchande au « capital naturel » et à des « services écosystémiques ». L'atmosphère et la biosphère deviennent des sous-systèmes de la sphère économique et financière.
(p.109)
5. Thermocène - histoire politique du CO2
L'augmentation du CO2 dans l'atmosphère est un marqueur de l'entrée dans l'anthropocène. Mais il faudrait préciser qu'elles furent, historiquement, les activités humaines, qui en sont la cause pricnipale. C'est en effet la demande qui a été déterminante dans les transitions passées : l'automobile créé l'industrie pétrolière, la lampe à filament, les centrales éléctriques, et non l'inverse.
(p.116).
- Histoire d'addition de nouvelles sources d'énergie, pas de substitution (le pétrole ne remplace pas le charbon).
- Histoire de l'inefficacité : Au XIXe s., avec la thermodynamique, emerge un
projet intellectuel de mise en équivalence généralisée de toute forme de travail
(p.121). Or, il n'est pas du tout certains que les mutations de l'anthropocène aient amenés un meilleur rendement thermodynamique ; c'est le cas par exemple pour le passage de l'agriculture traditionnelle à l'agriculture intensive (David et Marcia Pimentel). - Histoire d'alternatives : à la fin du XIXe s., aux USA, le chemin de fer n'offre pas d'avantages particuliers par rapport à ce qui existe déjà (le transport fluvial), les chevaux sont encore la principal source d'énergie. En Angletterre, la navigation est encore largement dominée par l'éolien. Aux USA, ce sont 6 millions d'éoliennes modernes, produites industriellement, qui permettent l'agriculture et l'élevage dans le Middlewest. les alternatives existent, notamment le solaire comme la machine à vapeur solaire d'Augustin Mouchot développée en Algérie, et l'usage pour la production d'électricité domestique à faillit s'imposer en Californie et en Floride jusqu'au début des années 1950.
L'histoire, en relativisant le caractère inexorable des énergies fossiles, permet de re-politiser leur domination. Les notions d'irréversibilité (lock-in) et de dépendances de sentier (path dependency) permettent de saisir l'importance des choix politiques dabs l'histoire de l'énergie. Les "conditions initiales", l'abondance de charbon ou de pétrole, mais aussi des décisions politiques encourageant une source d'énergie plutôt qu'une autre déterminent les trajectoires technologiques sur la très longue durée. Ces décisions sont ensuite perpetuées par les cadre réglementaires, par la nécessité de protéger des investissements, par l'existence d'infrastructures liées à cette source énergétique, mais aussi par les usages, la culture, etc.
(p.129).
Parallèlement, les choix politiques peuvent aussi tués les alternatives prometteuses : en 1950 aux USA, les investissements dans l'énergie solaire sont anéantis par la périurbanisation, par la promotion de la maison préfabriquée à bas coût [...] et par un marketing très agressif des compagnies d'électricité.
(p.130). On peut aussi parler du choix de la voiture individuelle au détriment des tramways, toujours aux USA.
Notons enfin que, d'un point de vue climatique, l'anthropocène devrait plutôt s'appeler "Anglocène"
(p.134). Il existe un lien entre l'empire britannique et la globalisation du charbon. L'hégémonie américaine repose elle aussi principalement sur le Carbone.
Les grandes grèves des mineurs contribuèrent à l'émergence de syndicats ; on peut dés lors aussi interprété la pétrolisation du monde par une volonté de contourner le mouvement ouvrier : un des objectifs du plan Marshall était d'encourager le recours au pétrole afin d'affaiblir les mineurs et leurs syndicats
(p.139). on peut analyser de la même manière la révolution verte des années 60 : intensifier l'usage d'engrais, de pesticides et de machines. Très demandeuse d'énergie, la révolution verte a aussi achevé la pétrolisation du monde.
6. Thanatocène - puissance et éocide
L'entrée en Anthropocène est aussi très liée aux guerres, qui furent aux cours du XXe siècle plus nombreuses entre pays riches qu'entre pays pauvres. L'empreinte environnementale des armées est énorme, surtout durant la guerre froide, notamment par leur consomation de pétrole.
Il serait ainsi souhaitable de pouvoir faire une histoire naturelle de la destruction
: Hambourg livrée aux rats et aux mouches après les bombardements du 27 juiller 1943 ; les destructions forestières des guerres révolutionnaires et napoléoniennes ; la guere du Vietnam… L'impact de certaines « pratiques » poussa même l'ONU à adopter en 1977 une convention interdisant « l'usage des techniques de modifications environementales hostiles ».
Certaines inventions de guerre (le nylon, les radars) sont devenus des outils du quotidien, notamment dans la pêche industrielle. On estime dés lors qu'en 2000, par rapport à l'entre-deux guerre, il ne resterait plus que 10% des communautés de poissons de grande taille.
Les armes puissantes comme la bombe atomique sont aussi envisagée pour raser des montagnes, déplacer des cours d'eau. On a envisagé d'extraire le pétrole bitumineux d'Alberta ; cela a été fait au Colorado.
Finir la retranscription des notes...