Un pays qui se soulève
Ce pouvoir, légitimité effondrée, n’est plus qu’un bloc de coercition. Pour avoir lui-même abattu toutes les médiations, l’autocrate n’est plus séparé du peuple que par une ligne de policiers. De cet individu que toute raison a depuis longtemps déserté, rien ne peut être exclu.
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En quelques décennies, avec un pic d’exploit depuis 2017, un modèle entier a été mis à genoux. Ils ont mis l’économie à genoux. Pas la CGT, pas l’Intersyndicale — si seulement — : eux. Les compétents ont ruiné le pays. La désorganisation est totale. Comme on sait, le diplôme et la compétence ont été historiquement promus par la bourgeoisie comme titres substitutifs au sang et au lignage pour évincer l’aristocratie. Paradoxe (qui n’en est pas un), dans le capitalisme tardif, l’incompétence de la bourgeoisie est devenue une force en soi – on peut lui donner son nom par une rectification minimale de Schumpeter : la destruction destructrice. Ou alors son nom propre de synthèse : McKinsey.
L’argument de Lietchi prend ici toute sa force. Car l’idée de la souveraineté des producteurs, usuellement renvoyée au monde des rêves, tombe comme la conséquence logique, d’un constat irréfutable. Sa conclusion s’en déduit avec le même tranchant : il faut virer ces nuisibles imbéciles et leur reprendre la totalité de la production. Ils n’ont pas su faire ? Les travailleurs sauront — ils savent déjà. On pourrait considérer que tel est le vrai sens à donner aux mots « grève générale » : non pas l’arrêt général du travail, mais l’acte d’initiation de la réappropriation générale de l’outil — le commencement de la souveraineté des producteurs.
- Titre
- Un pays qui se soulève
- Auteurs
- Frédéric Lordon
- Éditeur
- blog.mondediplo.net
- Date