Bénévolat et Open source

J'ai reçu un bien curieux email aujourd'hui, ce qui m'a incité à coucher sur papier ce qui me semble évident depuis des années dans la notion de collaboration au sein des logiciels libres mais qui reste - apparemment - encore obscur pour certaines personnes, tellement obscure qu'on finit par me demander de bosser gratos !

L'email en question était une demande de collaboration à la traduction d'un projet. L'auteur m'a contacté parce que je suis traducteur français enregistré sur Launchpad, plate-forme de travail collaboratif utilisé par de nombreux projets libre et principalement tout ce qui a un rapport avec ubuntu.

Je me suis d'abord demandé par quel cheminement intellectuel un type qui ne me connait ni d'Adam ni d'Eve a décidé de me contacter pour traduire - bénévolement - son application web simplement parce que je suis enregistré sur Launchpad :

  • Je ne suis pas traducteur professionnel et je fais ce travail sur mon temps libre. Crois-ton que toute personne qui collabore à un projet libre sur son temps… libre serait prêt à travailler comme ça, gratuitement, pour n'importe quel autre outil informatique / web ?
  • Je ne suis vraiment pas un traducteur très actif donc pourquoi s'adresser à moi ? Je ne participe actuellement qu'à la traduiction de Zim ; j'ai collaboré auparavant - et hors de launchpad - aux traductions de Gjots et de Tellico (à l'époque où il s'appelait Bookcase).

Conclusion : mon nom a sans doute été tiré au hasard, ou je fais partie d'une longue liste d'emails envoyés.

Résumons : le responsable d'un projet non open source souhaiterait que je lui donne un coup de main en participant à la traduction de 500 messages. Ou : on me demande de collaborer bénévolement à un projet non open source qui peut avoir des retombées financières. Soit : ils veulent une traduction gratos de leur interface web pour ensuite pouvoir vendre leur services en multilingue !

Est-ce que j'ai l'air d'un jambon ?!

Plus généralement, et j'ai déjà fait face à ce type de réactions quand je parle de projets libres à des non libristes : comment peut-on fournir ainsi de son temps de manière bénévole (c'est-à-dire sans être payé) ? Comme si on n'était qu'un gros benêt qui se fait entuber en travaillant gratos. Si ce dernier point n'est pas toujours évité(1), beaucoup de gens ont du mal à comprendre qu'on retrouve toujours nos billes dans l'affaire. Ils voient le don sans voir le contre-don (ou inversement).

On travaille bénévolement pour une simple et bonne raison : parce que le partage est à la base un consensus implicite du logiciel libre, parce que ce partage est/doit être multilatéral et que, d'une manière ou d'une autre, vous en bénéficiez. je ne traduis pas l'interface graphique de Zim parce que ça me fait plaisir (c'est même plutôt chiant comme boulot, pour dire la vérité), mais parce que son auteur a partagé un outil (en le plaçant sous licence libre) qui m'est utile, que cet outil m'est d'autant plus utile si son interface est en français (même si ce n'est pas le plus important), que son développeur principal continuera à le faire évoluer - et donc que je continuerai à en bénéficier - s'il lui est utile mais aussi s'il voit une communauté collaborée autour de lui.

Chaque contributeur, quelque que soit cette contribution (traductions, rapport de bugs, rédaction de documentation, aide sur des forums, codage, aide financière, etc.) pourrait expliquer d'une manière différente son engagement libriste, ponctuel ou sur le long terme ; mais au final, la plupart de ces raisons se réduiront à une seule évidence : ce qui enrichit la communauté m'enrichit moi !

Le partage et la collaboration dans le logiciel libre est un consensus social librement accepté. Il est certain que cette philosophie peut paraître obscure ou déroutante dans une société où - disons-le franchement - une partie minoritaire de la communauté (nationale, mondiale) n'existe que par le travail de la plus grande partie de celle-ci et sans réciproque. Mais elle permet l'existence et le développement de projets qui sont utiles à une communauté de personnes plus ou moins grande (nombre de ces projets ont disparus parce que cette collaboration n'a jamais pu s'installer). C'est en grande partie grâce à cette notion que nous avons un internet dés qu'il est.

Alors non, quand je traduis bénévolement l'interface graphique d'un logiciel libre, je ne le fais pas pour rien : je le fais parce que ça m'est utile et que ça peut être utile à d'autres, autres qui ont souvent effectué un travail dont j'ai moi-même bénéficié. Et non, je ne peux pas contribuer à un projet sans que celui-ci n'adhère au consensus de partage décrit ci-dessus.

Ou alors faut me payer ! Don et contre-don :-)

Cette note a été écrite en avril 2010. Elle s'était perdu dans un recoin d'une clé USB avant que je ne tombe dessus cet après-midi presque par hasard.