De Bamiyan à Babylone

La guerre en irak n'aura pas fait que des victimes civiles. Les « dommages culturels colatéraux », pour insignifiants qu'ils puissent paraître au regard des pertes humaines, n'en sont pas moins désastreux non seulement pour l'Irak mais pour l'humanité tout entière. Une civilisation qui ne respecte pas son histoire est condamnée à l'ignorance.

Le rapport (format pdf, 352 Ko) publié le 14 janvier 2005 par le British Museum donne à réflechir. Sur le comportement des troupes de la coalition en Irak, sur celui des dirigeants politiques mais aussi sur le travail des média.

Les conclusions du rapport

Site de Babylone

Emplacement du camp militaire (carré rouge) sur le site de Babylone.

Malgré les mises en garde de nombreux scientifiques, le gouvernement américain n'a jamais vraiment jugé nécessaire de tenir compte des caractéristiques archéologiques particulières de l'Irak dans ses plans d'action sur le terrain. L'installation d'un campement militaire géré en seconde main par les polonais en plein milieu du site de Babylone n'a donc semblé choqué personne. Pourtant, la liste des dégradations que le rapport établit est loin d'être négligeable : tranchées creusées, zones recouvertes de gravier, chaussées enfoncées,...

Pour éclairer les analphabètes qui semblent être de plus en plus répandu de par le monde au sein de cette « élite » qui nous gouverne, J.E. curtis, l'auteur du rapport, tente une métaphore qui pourrait éclairer : c'est comme si les militaires s'étaient installés aux pieds de la grande pyramide d'Egypte ou près du site de Stonehenge en Angleterre. Les protestations n'auraint pas manqué. Ici, rien… Et ce n'est pas la couverture médiatique de l'affaire qui peut nous rassurer sur l'avenir, surtour si on la compare à ce qui s'est passé quelques années auparavant.

L'affaire des bouddhas de Bamiyan

Lorsque les Talibans décident en mars 2001 de « décapiter » les bouddhas géants de la province de Bamiyan, toute la communauté internationale s'est levée comme un seul homme pour dénoncer ces barbares incultes qui s'apprêtaient à commettre un crime contre l'humanité. Lorsque ce fanatisme destructeur s'imprime sur nos oeillères cathodiques, le monde semble naïvement découvrir l'horreur du régime taliban. Les exemples de leur barbarie n'avaient pourtant pas manqué depuis la prise de Kaboul en 1996. Il n'y avait qu'à se souvenir des fantômes errants sous leur bourka dans les rues de la capitale afghane...

Il est indéniable que le statuaire de Bamiyan, et les sites archéologiques du pays dans son ensemble, sont d'une inestimable importance historique. L'Afghanistan fut longtemps un carrefour de civilisations, le point de contact entre l'Occident, l'Orient, l'Asie et le monde des nomades des steppes. Ces rencontres et ces échanges s'incarnèrent dans des oeuvres culturels uniques dont les statues de Bamiyan, les plus grands bouddhas du monde, datés de la première moitié du premier millénaire de notre ère, ne sont qu'un exemple. Ces actes de destruction furent à juste titre condamnés. Mais la condamnation aurait été plus crédible s'il y avait eut une plus vigoureuse dénonciation des intolérables persécutions humaines et si cette indignation s'était aussi manifestée dix ans plus tôt, lors de la guerre du Golfe. En 1991, il n'y avait pas eu tant de beaux discours lorsque les tapis de bombes se sont déversées sur l'Irak en ne manquant pas de réduire en poussière de nombreux sites archéologiques. A cette époque, nous faisions parti de la coalition, nous étions dans le camp des « gentils »...

Aujourd'hui, nous avons de nouveaux « méchants » à pourfendre. Les médias français (européens) se complaisent à critiquer l'administration américaine et le comportement des armées sur le terrain, notamment vis-à-vis des richesses culturelles et historiques de l'Irak. La dégradation du site de Babylone n'est d'ailleurs que le dernier épisode en date : rappelons-nous du sort réservé au musée quand les forces de la coalition ont pénétré dans Bagdad. Mais que penser de ces critiques alors même qu'elles furent presque inexistantes en d'autres circonstances ? Si nous avions envoyé des troupes en Irak cette fois-ci aussi, nous aurions sans doute eu droit au même silence « pudique » que lors de la guerre du Golfe, union nationale oblige. C'est pourquoi ce genre d'indignation sélective de la part des médias met toujours mal à l'aise.

Des vins mieux considérés

Mais revenons en au coeur du problème car un dernier point du rapport m'a pour ainsi dire - excuser la familiarité de l'expression mais je n'en vois pas d'autre - littéralement troué le cul : le site de Babylone n'est pas classé au patrimoine mondial de l'Unesco. Cet organisme, si prompt à protéger un petit bled producteur de pinard perdu au fin fond de notre belle campagne parce qu'il est, je cite, un exemple remarquable d'un paysage viticole historique qui a survécu intact et est en activité de nos jours, n'a pour l'instant juger nécessaire de classer que deux sites irakiens, Hatra et Assur, ce dernier seulement parce qu'il était menacé par la construction d'un barrage hydraulique. Pourtant, ce sont des dizaines de sites qui mériteraient d'être protéger. Comme le dit si bien Nicholas Postgate, professeur d'assyriologie à l'université de Cambridge, c'est en fait tout le pays qui devrait être classé au patrimoine mondial de l'humanité. La Mésopotamie est l'un des berceaux de la civilisation humaine. Ce n'est ni une métaphore ni du politiquement correct mais un fait historique. La perte d'un site majeur irakien sera une perte définitive et irremplaçable.

Le rapport du British Museum aura eu le mérite de ramener dans l'actualité un désastre annoncé par les assyriologues de tout pays depuis bien avant le début des conflits armés. Mais depuis quand écoute-t-on des rats de refthèque ?! Que pèse la dégradation d'un site archéologique multi-millénaire faces aux impératifs géo-politico-économiques plus ou moins avoués et avouables ?!

Pas grave, on reconstruira par dessus de beaux parkings d'asphalte pour temples modernes de la consommation. Soyez certain que des dizaines d'entreprises de BTP sont déjà sur les rangs...

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